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Adieu, ma belle Dame

15/04/2019 : Notre-Dame de Paris brûle.

 

Hier soir, une part de mon âme est elle aussi partie en fumée. Une part non négligeable. La part de mes belles années, de mes pique-niques le long de la Seine, cette part qui à chaque passage devant ma Dame, s’en émerveillait – s’émerveillait de sa beauté, de sa présence, de son âme. Hier soir, ma belle Dame a perdu son âme, quoi qu’on en dise. Les mains qui ont façonné la charpente, celles qui ont emboîté les poutres, celles qui les ont lissées et peut-être contemplées – ces mains, dont le souvenir survivait dans cette charpente, ont connu hier soir une seconde mort. C’est la seconde mort de tous ces gens qui ont contribué à l’élever, à la bâtir. La mort de cette histoire de près de mille ans que je sentais bruisser chaque fois que je m’y rendais. Pour moi, le Moyen-Age vivait encore, caché dans ces colonnes, dans ces voûtes, dans ces peintures murales que des yeux, tout au long des siècles passés, ont pu admirer. Et les miens se superposaient aux leurs, et une communion de nos époques s’effectuait ainsi, comme si le temps n’était qu’une bande sur arrêt, les choses s’interpénétrant. Je sentais vibrer tous ces siècles à travers moi. Marcher le long des quais et me dire que Maupassant avait posé son regard sur la même Belle que moi… Savoir qu’il avait vu la même cathédrale, foulé les mêmes pavés… Communion des siècles.

Mais aujourd’hui elle s’en est allée en fumée, et quoi que suggèrent les autres, son âme n’est plus là. Comment pourrait-elle l’être encore, au milieu de ses vitraux brisés ? Alors oui, la structure est présente, mais tellement éventrée… Ce serait comme de se retrouver avec une colonne vertébrale – où est passé le reste ? Où est l’âme, où sont ces fantômes que je sentais dans les allées, que mon œil entrevoyait parfois entre les colonnes ? Tous ces bruits, toutes ces visions, tous ces êtres… Comme s’ils s’en étaient allés eux aussi avec les flammes…

 

Je ne l’ai pas encore vue. J’irai, sans doute, certainement. Pour lui adresser une dernière larme, un dernier adieu. Comme le dit si bien un historien de l’art, nous allons la réparer, mais nous avons perdu Notre-Dame. Ce qui était ne sera jamais plus. Elle est bel et bien partie. Ce sont huit cent cinquante-six ans qui s’achèvent. Elle avait tout traversé, la Révolution, les guerres, les bombardements… Tout. Un seul incendie, en notre bon XXIe siècle, si performant, si technologique, si avancé, en aura eu raison.

 

Adieu, ma belle dame. Merci pour toute cette beauté et ces belles années que tu m’auras données, merci pour cet apaisement et cette bulle hors du temps que tu as su me procurer.

 

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